L’excision
est une pratique qui a encore de beaux jours devant elle en dépit des multiples
campagnes de sensibilisation sur ses méfaits, menées ça et là par des
organisations de la société civile et des professionnels de la santé. Au Brakna,
comme partout ailleurs en Mauritanie, cette pratique ancestrale est fortement
ancrée dans les esprits. Beaucoup de préjugés socioculturels et religieux
entourent encore cette coutume à telle enseigne qu’il n’est pas aisé d’évoquer
le sujet avec les filles ou femmes (les questions relatives au sexe demeurent
taboues). Depuis 2007, l’ONG internationale Tostan, en partenariat avec le
MASEF et l’UNICEF, mène un combat inlassable contre cette vieille tradition rétrograde
à travers son projet intitulé « Education aux droits humains et promotion
de l’abandon des pratiques néfastes telles que l’excision ». Ce programme
ambitieux a abouti à la
Déclaration de Mbagne (25 mai 2010) où les représentants de
78 communautés issues des cinq mouqata’a du Brakna, ont « pris
l’engagement solennel en toute connaissance de cause, d’abandonner la pratique de
l’excision et des mariages précoces des filles ». Cet engagement sera-t-il
respecté ? Dans tous les cas, pas pour demain si l’on sait la place des
traditions dans des sociétés conservatrices comme les nôtres.
Un sondage que nous avons effectué auprès
de 48 élèves filles du Lycée de Boghé montre que cette coutume est relativement
tolérée dans notre société même si on reconnaît parfois ses aspects négatifs.
64,58% des sondées estiment qu’elle est bonne « car prescrite par
l’Islam et conforme aux normes sociales ». Pour la plupart de ces jeunes
filles, le clitoris est le symbole de l’impureté et de la perversion. Son ablation
préserve la fille contre les tentations. « Une fille non excisée ne
peut pas rester tranquille » estime F.A qui en réalité s’est fait l’écho
de l’opinion générale des femmes sur ce sujet. 37,5% des élèves interrogées
pensent que l’excision est mauvaise et comporte des effets négatifs tels que
l’hémorragie, la frigidité, les difficultés d’accouchement, les risques de
transmission des MST (SIDA principalement). Même celles qui estiment que cette
pratique est bonne sont conscientes des dangers qu’elle représente pour la
santé publique et admettent que les conditions dans lesquelles elle est faite
n’obéissent à aucune norme d’hygiène. A la question « accepteriez-vous
d’exciser votre fille ? », 64,58% des sondées répondent par
« OUI » mais à condition que les règles d’hygiène soient respectées
soit par l’exciseuse traditionnelle ou l’infirmière. Pour beaucoup, l’excision
doit être pratiquée mais dans de bonnes conditions. Seules 25% des filles
sondées, la plupart issues de milieux urbains, ont fait le serment de ne jamais
exciser leurs filles !
Les résultats de ce sondage traduisent
parfaitement le sentiment général que les femmes éprouvent sur ce sujet. Le
micro-trottoir que nous avons fait auprès de quelques femmes confirme davantage
cette idée selon laquelle l’excision est une pratique recommandée par notre
sainte religion ou admise par la société. Pour Aïssata, « on doit se
conformer aux traditions ancestrales et ne pas écouter ceux qui tentent par
tous les moyens de nous déraciner ». Quant à Fatimata, sans doute plus
« évoluée », toutes les traditions ne sont pas forcément bonnes et
parmi celles-ci figure l’excision qui comporte de nombreux risques sur la santé
et l’équilibre sexuel de la femme ». Du côté des guides religieux, on
semble abonder dans le même sens. Thierno Abdallahi Dia estime que « les
organisations qui militent pour l’abandon de l’excision sont des instruments
des lobby judéo-chrétiens qui veulent porter atteinte aux règles de
l’Islam ». Il admet cependant que si les conditions dans lesquelles
l’excision est pratiquée sont mauvaises, il faudrait l’effectuer dans les
centres de santé. Cet avis ne fait pas l’unanimité auprès de tous les
religieux : Pour M. Sidina O.Mohamed, Président de l’Association des
Ulémas du Brakna, « l’excision n’est ni une obligation, ni une
recommandation (sunna) mais une "karama" pour les femmes »
ajoutant que « même les pratiques légales peuvent être interdites selon
les cas dès l’instant où le médecin traitant (peu importe sa confession) juge qu’elles
comportent des risques sanitaires pour
le sujet concerné ».
Quant aux exciseuses traditionnelles, elles
estiment que cette pratique est un savoir hérité de leurs parents et que toutes
leurs interventions sont destinées à répondre à un besoin exprimé par les
populations. D. B, qui exerce ce métier depuis une vingtaine d’années a bien
voulu répondre à nos questions. Elle reconnaît qu’il y a quelques années, elle
faisait ce travail sans tenir compte des normes d’hygiène requises. « Mais
depuis qu’on m’a appris que cette pratique peut favoriser la transmission de
maladies, je veille sur cet aspect », explique-t-elle. D. B ajoute que
l’instrument utilisé est une lame neuve apportée par la cliente elle-même.
« Avez-vous été contacté par une association qui milite contre l’excision ? »,
Non, répond-elle, « jusque-là aucune association n’est venue me
parler de ce sujet ». Pour avoir
une idée du revenu que cela lui procure, nous lui avons demandé son gain
mensuel. « Cela dépend des périodes ; il m’arrive parfois d’exciser 4
à 5 fillettes par jour à raison de 200 UM plus un savon ». Si l’on sait
que cette femme peut gagner plus de 30 000 UM par mois, on est en droit de se
demander si elle est prête à abandonner ce métier.
Fatimettou Mint Mohamed, la soixantaine
révolue, exciseuse professionnelle, a quant à elle, décidé de jeter les lames
et les couteaux pour se reconvertir dans le mouvement associatif féminin où
elle est aujourd’hui une pionnière dans la lutte contre les pratiques néfastes grâce
à l’action de Tostan. Elle dirige le Rassemblement des coopératives de
développement de Bouhdida (18
km au sud d’Aleg). Interrogé au sujet de son ancien
métier, elle déclare : « J’ai exercé ce métier durant une
quarantaine d’années dans mon terroir natal contre 1 moud de mil (4 kg environ) et un savon par
fille. Mieux, à Nouakchott, j’ai pratiqué l’excision à raison de 1000 UM et un
savon en plus de nombreux cadeaux qu’on m’offrait (voiles, robes, sacs etc.).
Comme vous le constatez, cela me procurait d’importants revenus mais j’ai
décidé d’abandonner cette pratique après avoir pris connaissance des
conséquences néfastes qu’elle peut engendrer ».
Signalons que dans les centres médicaux,
l’excision est proscrite et les professionnels de la santé qui dérogeraient à
la règle sont passibles d’amendes et de peines de prison. Il en est de même
pour les exciseuses traditionnelles. Mais en dépit de ces garde-fous
juridiques, l’éradication de ce phénomène exige un combat de longue haleine qui
doit passer obligatoirement par l’information et la sensibilisation. Là, les
médias surtout audio et audio-visuels ont un rôle important à jouer car la
majorité de la population cible est analphabète. Les organisations de la
société civile et les leaders d’opinion (ulémas, imams, chefs de confréries, de
tribus, de villages) doivent redoubler d’efforts pour amener les nombreux récalcitrants
à abandonner volontairement cette pratique inhumaine et dégradante.
Article 12 de l’ordonnance N°
2005-015 portant protection pénale de l’enfant : « Le fait de porter atteinte ou de
tenter de porter atteinte à l’organe génital d’un enfant de sexe féminin par
infibulation, insensibilisation ou par tout autre moyen est puni de un à trois
ans d’emprisonnement et d’une amende de 120 000 à. 300 000 ouguiyas lorsqu’il
en a résulté un préjudice pour celui-ci. La peine est portée à quatre ans
d’emprisonnement et à une amende de 160 000 à 300 000 ouguiyas lorsque l’auteur
de l’infraction relève du corps médical ou paramédical »
Dia Abdoulaye